Bénédicte Augeard – Cheffe du Département Recherche, développement, innovation de la recherche Office français de la biodiversité OFB (témoignage issu du dossier « Science et directive-cadre sur l’eau 20 ans de recherche en hydrobiologie pour le bon état écologique des milieux aquatiques » – 2021)

L’Onema, devenu l’OFB aujourd’hui, a été créé pour accompagner la mise en place de la DCE avec un grand besoin de connaissances nouvelles. Quels étaient ces besoins ?

« En effet l’Onema, devenu l’agence française pour la biodiversité en 2017, puis l’office français de la biodiversité (OFB) en 2020, était un établissement public créé par la loi sur l’eau et les milieux aquatiques de 2006 pour accompagner la Direction de l’eau et de la biodiversité du ministère en charge de l’Environnement, notamment dans la mise en place de la directive-cadre européenne sur l’eau (DCE) de 2000. La mise en application de la DCE en France a fait émerger de très nombreuses questions de recherche. En effet, la DCE donnait un cadre assez précis pour surveiller, évaluer et agir afin d’améliorer l’état des eaux : définir des types de masses d’eau (cours d’eau, lacs et estuaires, eaux littorales, eaux souterraines) comme échelle de travail, identifier les hydroécorégions, les conditions de référence, développer des indicateurs pour qualifier par exemple l’état écologique à partir des poissons, des invertébrés, des algues… Dans ce cadre, beaucoup de questions se posaient : comment construire un bio-indicateur à partir de ces compartiments biologiques ciblés ? Quelles mesures effectuer ? Pour évaluer les impacts de quelles activités humaines ? Quelles références et quels seuils utiliser pour ces indicateurs ? Comment prioriser les mesures concrètes à prendre et évaluer leurs effets ?… Les principaux besoins de recherche pour la mise en oeuvre de la DCE concernaient non seulement la qualification de l’état écologique des milieux, mais également celle de l’état chimique des eaux. À cette qualification s’attachaient d’une part des enjeux de métrologie et d’évaluation de l’écotoxicologie des substances, et d’autre part d’établissement d’une relation entre les pressions, les activités humaines et leurs impacts sur les organismes. Par ailleurs, les politiques publiques sur la gestion quantitative de l’eau ont également eu besoin de connaissances sur la sécheresse et les étiages. Les sciences humaines et sociales ont été utiles pour accompagner la réflexion sur les mesures mises en place, sur les aspects économiques et sociaux, la participation des acteurs… Dans ces différents domaines, l’objectif était de développer des outils nationaux robustes dont certains ont d’ailleurs été intégrés dans la réglementation. Dans les départements d’outre-mer, les besoins de connaissances étaient encore plus grands qu’en métropole. Les moyens de recherche étaient plus faibles et dispersés. Très peu de données étant disponibles, il fallait les acquérir sur le terrain. Au nom du ministère, l’Onema a consacré d’importants moyens pour soutenir des recherches orientées vers les politiques publiques. Concernant les eaux continentales de surface, le Cemagref, devenu Irstea, puis INRAE aujourd’hui, a joué un rôle central du fait de son historicité sur le sujet, même si d’autres instituts de recherche y ont également contribué, l’ex-INRA et l’université de Lorraine notamment. »

Les résultats scientifiques ont-ils satisfait les besoins de l’action ?

« Globalement, oui. Les chercheurs se sont fortement impliqués pour rassembler les données existantes, comprendre le cadre de la directive, échanger avec les gestionnaires de l’eau (Onema, ministère, DREAL et agences de l’eau) et développer les méthodes d’évaluation ou les outils attendus. Lorsque les outils sont passés dans l’opérationnel, ils se sont également mobilisés pour assurer l’accompagnement via des guides, des séminaires, des formations ou encore des dispositifs comme Aquaref. Ces échanges chercheurs-gestionnaires tout au long des projets sont un vrai atout pour garantir l’opérationnalité des résultats de recherche. Ces travaux ont permis à beaucoup de chercheurs de progresser dans leur compréhension des processus écologiques et de valoriser les résultats dans des publications académiques. La bio-indication est une question complexe qui exige une bonne connaissance de l’écologie des milieux, de la sensibilité des espèces aux pollutions et aux habitats, des interactions entre les espèces, et de questionner les trajectoires évolutives des écosystèmes. Le travail sur des masses de données issues de la surveillance de la DCE peut faire ressortir des relations qu’il s’agit ensuite de bien caractériser. D’autres avancées ont été faites avec l’INRA, INRAE aujourd’hui, sur le lien entre pratiques agricoles et pollutions diffuses de l’eau, sur les approches quantitatives de l’usage de l’eau ou encore sur des méthodes nouvelles de surveillance avec l’utilisation de l’ADN environnemental qui permet des diagnostics plus rapides. Cependant, tous les outils développés n’ont pas pu être utilisés. Au fur et à mesure de la mise en place du réseau de surveillance et des connaissances produites par la recherche, nous disposions d’outils de plus en plus précis, mais qui dégradaient la note générale d’état des masses d’eaux, masquant les efforts faits pour rétablir le bon état, et entrainant un risque de découragement afférant pour les gestionnaires. Ainsi, l’indicateur poisson rivière historique, l’IPR, avait été amélioré dans sa version IPR+, devenant un outil de diagnostic puissant. En revanche, il n’a pas été inscrit dans la réglementation, sa sensibilité était telle qu’il déclassait trop l’état des masses d’eau. Il était compliqué pour les gestionnaires de l’eau d’afficher une dégradation aussi importante de l’état écologique des masses d’eau sans lien avec une augmentation des facteurs explicatifs. Cet indicateur est donc plutôt utilisé pour des diagnostics ponctuels. »

Les politiques publiques ont-elles besoin de la science ?

« Bien sûr, les travaux discutés ci-dessus le montrent pour la DCE. Des questions similaires se posent aujourd’hui pour la mise en oeuvre de la directive-cadre européenne stratégie pour le milieu marin, la DCSMM : comment mettre en place un dispositif de surveillance, développer des descripteurs de l’état écologique du milieu marin, définir des objectifs et des mesures de gestion… La recherche est là aussi très attendue. Cela exige d’être conscient de ce que l’on sait et de ce que l’on ignore encore et de savoir expliquer les incertitudes… Il faut pour autant bien distinguer l’approche scientifique, ses résultats, et l’usage qui va en être fait pour l’action par les parties prenantes. Ainsi, travailler avec les chercheurs en écologie ou sciences de l’eau enrichit la réglementation, mais celle-ci ne se pense pas seulement à partir des acquis scientifiques et intègre bien d’autres enjeux sociétaux pour assurer son applicabilité. Au-delà des besoins des politiques publiques, les scientifiques ont aussi un rôle à jouer pour éclairer les autres acteurs de la société, entreprises, ONG et citoyens, qui sont aussi concernés par les questions de gestion de l’eau et de l’environnement. Le dialogue avec la société doit être encouragé pour faire connaître les enjeux et faire bouger les lignes. »

Témoignage issu de notre dossier thématique

dossier valorisation appui aux politiques publiques INRAE directive cadre sur l'eau
Science et directive-cadre sur l’eau 20 ans de recherche en hydrobiologie pour le bon état écologique des milieux aquatiques

Rétablir le bon état des masses d’eau européennes en une vingtaine d’années, c’est le défi lancé en 2000 par la directive-cadre européenne sur l’eau (DCE) aux États membres. Les connaissances manquant alors pour sa mise en oeuvre, la Direction de l’eau et de la biodiversité (DEB) du ministère de l’Environnement et l’Office national de l’eau et des milieux aquatiques (Onema) concluent dès 2007 une collaboration d’envergure avec plusieurs organismes de recherche. Du fait des recherches menées en hydrologie, biologie et écologie, le Cemagref/Irstea et l’INRA, aujourd’hui INRAE, comptent parmi les premiers partenaires. Si le travail se poursuit pour atteindre l’objectif de bon état écologique, les apports de la science pour la mise en oeuvre de cette politique publique environnementale, aussi novatrice qu’ambitieuse, sont d’ores et déjà conséquents. Retour sur 20 ans de collaboration entre la recherche française et les services de l’État.

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