Laurent Roy – Directeur général de l‘agence de l’eau RMC (Rhône-Méditerranée-Corse) Ancien Directeur de l’eau et de la biodiversité au MTE (ministère de la Transition écologique) de 2012 à 2015 Ancien DREAL PACA (témoignage issu du dossier « Science et directive-cadre sur l’eau 20 ans de recherche en hydrobiologie pour le bon état écologique des milieux aquatiques » – 2021)

À la mise en place de la DCE dans les années 2000, vous avez dirigé trois structures publiques du ministère de l’Environnement : la Dreal PACA, la DEB et aujourd’hui l’agence de l’eau RMC. Quels étaient les besoins de connaissances, en particulier en bio-indication ?

« La DCE donne une obligation de résultat, celui de ramener les masses d’eau au bon état au plus tard à l’échéance de 2027. La direction générale Environnement de la Commission européenne demandaient aux États membres de mettre notamment en place un système d’évaluation de l’état des eaux continentales de surface. Pour ce faire, nous avions besoin d’outils pour lier les pressions et l’état des milieux, le tout documenté, robustes, et renseignés au moins tous les 6 ans à chaque cycle d’évaluation. Quand la DCE a été mise en place dans les années 2000, nous ne partions pas de rien en France : le système de gestion des eaux par grands bassins hydrographiques était déjà en place, nous bénéficiions d’une loi sur l’eau exigeante au niveau environnemental depuis 1992, et les recherches en écologie aquatiques étaient déjà bien lancées par plusieurs équipes. À l’époque, étaient utilisés en France un bio-indicateur pour les macro-invertébrés, l’indice biologique général (IBGN) un indice poisson en rivière (IPR), ainsi qu’un indice basé sur les diatomées (IBD) qui sont des algues microscopiques. Les DREAL jouaient un rôle important pour l’évaluation de l’état des eaux grâce à leurs laboratoires d’hydrobiologie. Il a toutefois fallu faire évoluer tous ces outils et connaissances pour répondre aux objectifs de la DCE, en particulier disposer d’indicateurs biologiques sensibles aux pressions pour pouvoir prioriser et cibler les actions au mieux. Nous manquions encore largement de connaissances sur ce point. La DEB et l’Onema, son opérateur créé en 2007 par la loi sur l’eau (Lema), les Dreal, le monde de la recherche et les agences de l’eau ont conjugué leurs efforts pour produire des connaissances nécessaires à l’action. Doté de moyens conséquents et avec le soutien technique et financier des agences de l’eau, l’Onema a construit et financé des conventions de recherche sur l’ensemble des besoins, eaux de surface, eaux souterraines, risques… avec les organismes de recherche finalisée, dont le Cemagref qui s’était engagé dans l’hydrobiologie et les hydroécorégions depuis des années. Dotées ainsi de moyens financiers conséquents, les recherches sur la bio-indication ont pu s’intensifier. »

Quelles sont les contraintes de produire des connaissances pour l’application d’une politique publique telle que la DCE ?

« Les outils doivent être performants et sensibles aux pressions. Au fil des recherches ils se sont améliorés, mais le système d’évaluation de l’état des eaux fixé par la DCE est problématique : il suffit qu’un facteur soit en état moins que « bon » pour que l’état de la masse d’eau soit déclassé (principe « one out all out »). Cette manière de procéder conduit à masquer les progrès accomplis et confère une grande inertie à l’évaluation de l’état. Des tensions ont dès lors pu émerger entre la recherche d’indicateurs les plus pertinents possible et les exigences opérationnelles de mesurer et montrer les progrès obtenus grâce à la mobilisation des acteurs de l’eau. La DEB était donc placée entre la production scientifique faite par l’Onema, puis Irstea, la Commission européenne et ses exigences d’un dispositif d’évaluation couvrant au mieux tous les champs, et les services opérationnels que sont les services de l’État (dont les Dreal) et les agences de l’eau, financeurs exclusifs du dispositif. Il s’est alors agi de trouver un compromis qui réponde aux différentes exigences. Aujourd’hui directeur d’agence de l’eau, je dirais que bon nombre de paramètres se sont incontestablement améliorés, même si les outils intégrateurs d’évaluation du bon état masquent ces progrès réels. Ainsi, on trouve par exemple 20 fois moins d’ammonium, ce témoin des pollutions « domestiques », dans les rivières du bassin Rhône-Méditerranée aujourd’hui qu’en 1990. La toxicité moyenne des métaux, marqueurs des pollutions industrielles, a quant à elle été divisée par 6. La surveillance de l’état des eaux s’est également considérablement perfectionnée, avec beaucoup plus d’analyses réalisées, de paramètres suivis et des progrès constants dans l’estimation du lien entre les pressions et le fonctionnement des milieux. L’amélioration de la biologie des cours d’eau commence ainsi à se faire sentir depuis 5 à 6 ans si l’on en juge l’indicateur invertébrés I2M2. La science a énormément apporté pour mettre en place tous ces indicateurs et comprendre les liens entre les activités humaines et l’état des milieux. L’écologie fonctionnelle des cours d’eau et plans d’eau est indispensable pour avancer dans la compréhension et le choix des mesures à prendre. »Les outils doivent être performants et sensibles aux pressions. Au fil des recherches ils se sont améliorés, mais le système d’évaluation de l’état des eaux fixé par la DCE est problématique : il suffit qu’un facteur soit en état moins que « bon » pour que l’état de la masse d’eau soit déclassé (principe « one out all out »). Cette manière de procéder conduit à masquer les progrès accomplis et confère une grande inertie à l’évaluation de l’état. Des tensions ont dès lors pu émerger entre la recherche d’indicateurs les plus pertinents possible et les exigences opérationnelles de mesurer et montrer les progrès obtenus grâce à la mobilisation des acteurs de l’eau. La DEB était donc placée entre la production scientifique faite par l’Onema, puis Irstea, la Commission européenne et ses exigences d’un dispositif d’évaluation couvrant au mieux tous les champs, et les services opérationnels que sont les services de l’État (dont les Dreal) et les agences de l’eau, financeurs exclusifs du dispositif. Il s’est alors agi de trouver un compromis qui réponde aux différentes exigences. Aujourd’hui directeur d’agence de l’eau, je dirais que bon nombre de paramètres se sont incontestablement améliorés, même si les outils intégrateurs d’évaluation du bon état masquent ces progrès réels. Ainsi, on trouve par exemple 20 fois moins d’ammonium, ce témoin des pollutions « domestiques », dans les rivières du bassin Rhône-Méditerranée aujourd’hui qu’en 1990. La toxicité moyenne des métaux, marqueurs des pollutions industrielles, a quant à elle été divisée par 6. La surveillance de l’état des eaux s’est également considérablement perfectionnée, avec beaucoup plus d’analyses réalisées, de paramètres suivis et des progrès constants dans l’estimation du lien entre les pressions et le fonctionnement des milieux. L’amélioration de la biologie des cours d’eau commence ainsi à se faire sentir depuis 5 à 6 ans si l’on en juge l’indicateur invertébrés I2M2. La science a énormément apporté pour mettre en place tous ces indicateurs et comprendre les liens entre les activités humaines et l’état des milieux. L’écologie fonctionnelle des cours d’eau et plans d’eau est indispensable pour avancer dans la compréhension et le choix des mesures à prendre. »

Y a-t-il encore des besoins de recherche ?

« Nous avons au moins trois nouveaux défis devant nous : 1/ la question de la quantité, avec le changement climatique qui va de plus en plus accroître la tension sur la ressource en eau, 2/ la question de la pollution diffuse par une multitude de substances chimiques, dont les effets « cocktails » sont mal connus, et 3/ les pressions sur la morphologie des cours d’eau et leur artificialisation, qui est très dommageable à leur bon état. Les effets des mesures dans ce domaine sont progressifs, les gestionnaires sont impatients et notre comité de bassin nous demande des retours sur investissement. Je note un fort « appétit » de nos instances de bassin pour la connaissance et la science, un désir d’en savoir plus, de comprendre. Nous avons mis en place plusieurs lieux de rencontres qui permettent une acculturation réciproque et facilitent les compréhensions mutuelles. La prochaine étape, à laquelle nous invite d’ailleurs l’expérience récente de la Covid-19, sera le rapprochement avec le grand public qui a découvert avec une certaine sidération la science avec ses doutes et ses controverses, ses inconnues, déstabilisant pour lui, mais une réalité. Les décideurs et législateurs ont besoin des scientifiques pour agir et les scientifiques doivent contribuer à la décision publique, sans se substituer aux décideurs. »

Témoignage issu de notre dossier thématique

dossier valorisation appui aux politiques publiques INRAE directive cadre sur l'eau
Science et directive-cadre sur l’eau 20 ans de recherche en hydrobiologie pour le bon état écologique des milieux aquatiques

Rétablir le bon état des masses d’eau européennes en une vingtaine d’années, c’est le défi lancé en 2000 par la directive-cadre européenne sur l’eau (DCE) aux États membres. Les connaissances manquant alors pour sa mise en oeuvre, la Direction de l’eau et de la biodiversité (DEB) du ministère de l’Environnement et l’Office national de l’eau et des milieux aquatiques (Onema) concluent dès 2007 une collaboration d’envergure avec plusieurs organismes de recherche. Du fait des recherches menées en hydrologie, biologie et écologie, le Cemagref/Irstea et l’INRA, aujourd’hui INRAE, comptent parmi les premiers partenaires. Si le travail se poursuit pour atteindre l’objectif de bon état écologique, les apports de la science pour la mise en oeuvre de cette politique publique environnementale, aussi novatrice qu’ambitieuse, sont d’ores et déjà conséquents. Retour sur 20 ans de collaboration entre la recherche française et les services de l’État.

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