EPSF : Enquête Pauvreté & Structure Familiale
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La considération des inégalités intraménage pour mieux orienter les aides publiques au Sénégal
La mesure de la pauvreté et des inégalités dans un pays est au centre des préoccupations des économistes du développement. La présente étude pèsera pour orienter les mesures politiques d’aide aux personnes sous le seuil de pauvreté.
Cette mesure se base généralement sur des enquêtes de consommation des ménages qui méconnaissent les inégalités pouvant exister au sein même d’un même ménage. Au Sénégal la structure des ménages est complexe avec la cohabitation de plusieurs générations ou de plusieurs membres d’une même fratrie avec leurs épouses respectives. Chaque sous-groupe dans le ménage peut avoir son propre budget et l’accès aux ressources peut fortement différer d’un individu à l’autre au sein d’un même ménage.
Pour prendre en compte ces disparités, en partenariat avec l’ANSD, une large enquête quantitative a été réalisée au Sénégal auprès de 18 000 individus dans 2 000 ménages différents. Dans cette enquête, la mesure de la consommation des ménages est basée sur l’interview de tous les membres adultes du ménage ayant des responsabilités budgétaires. Cette méthode permet une vision plus complète de la consommation du ménage et permet de savoir comment elle est répartie entre les membres. L’étude rapporte une consommation des ménages 15 % supérieure par rapport aux résultats obtenus avec l’enquête nationale réalisée la même année avec la méthode traditionnelle qui ne s’adresse généralement qu’à une seule personne par ménage. Cette différence est essentiellement due aux ménages non pauvres. En fait, plus les ménages sont riches, plus les enquêtes standards sous-estiment leur consommation. L’inégalité réelle dans cette économie est donc plus élevée que ce que l’on pensait jusqu’alors. Ainsi, par exemple, le coefficient de Gini, qui mesure le niveau d’inégalité de la répartition de la consommation au sein d’un pays, passe de 0,42 pour l’enquête traditionnelle à 0,5 dans cette étude, ce qui fait basculer le Sénégal dans le groupe des pays fortement inégalitaires.
De façon tout à fait nouvelle, elle révèle également d’importantes inégalités au sein des ménages. Ces inégalités sont telles que au sein de ménage dont le niveau de consommation par tête est supérieur au seuil de pauvreté, on trouve des membres qui eux vivent avec très peu de ressources. Ce sont des pauvres invisibilisés par le fait qu’ils vivent dans un ménage qui n’est pas pauvre.
Au total, 13,4 % des personnes pauvres ne seraient pas repérées comme telles avec des enquêtes standards car elles font partie de ménages vivant au-dessus du seuil de pauvreté. Il est donc important de se rapprocher au plus près des individus pour obtenir des mesures plus exactes du niveau de pauvreté et aider les politiques publiques à mieux atteindre leurs cibles. À l’aide de cette nouvelle enquête pour le Sénégal dans laquelle les données de consommation ont été collectées à un niveau désagrégé, cet article quantifie les biais liés à une collecte de données qui néglige de prendre en compte le fonctionnement des ménages. Au total, deux effets opposés, l’un sur la moyenne et l’autre sur les inégalités, se compensent en termes de taux de pauvreté global, mais les statuts individuels de pauvreté sont affectés. Cette étude a également révélé le fait que la structure et l’organisation des ménages sont des corrélats clés de l’inégalité au sein du ménage et du risque individuel de pauvreté.